Archéologie du regard 


La photographie n’est-elle pas un champ d’investigation possible, une voie où le temps objectif que l’on nous impose pourrait être rejoué et peut-être déjoué ? Dans les images de Thierry Millotte, entre espace et temps, c’est le corps qui se tient là et expérimente, par la photographie et la vidéo, sa propre perception. Les vidéos Shhh et Toupies renvoient aux réflexions de l’art cinétique. Ca bouge, ça ne bouge plus. Les fleurs se découvrent lentement, on ne comprend pas ce que l’on voit, la lenteur et le mouvement nous trompent. Il faut regarder encore et encore. Derrière chaque image fixe ou en mouvement, il y a un geste qui se cache, une attitude qui devient forme, une voie que l’on poursuit. Un territoire peut être arpenté physiquement ou virtuellement, toujours selon les contraintes d’un système et devenir l’objet dans un temps donné, de plusieurs clichés comme dans les séries Strips et Speedways.

La photographie en tant que procédé technique retient le temps et pourtant, comme le montre le philosophe Harmut Rosa, l’accélération globale de la société post-moderne engendre de nouvelles formes d’aliénation du sujet. Le flux constant des représentations qui nous traverse n’est pas anodin. Que retenir et comment faire image parmi les images ?

Thierry Millotte ouvre constamment la photographie vers d’autres images. La matière numérique devient facilement hybride. Dans la série, Les Cosaques, de minuscules cavaliers empruntés à un peintre pompier, courent les sentiers inconnus de paysages pixélisés. Thierry Millotte se réapproprie également les paysages proposés par le web et les jeux vidéos qu'il parcourt. Il détourne ainsi les moyens de la révolution numérique pour en alimenter la critique.  Décaler le regard, rompre l’habitude de consommation effrénée, passe aussi dans les séries Fouilles et Balayage, par un retour à la chair de l’image numérique, à son degré zéro, au pixel comme cause première. Le pixel est le bruit de la photographie numérique, il est le grain retrouvé, la touche artificielle, la pulpe géométrique et fragmentaire qu’il ne faut plus nier, mais traverser de part en part pour comprendre de quoi les images sont faites et peut-être y entrevoir dans une mise en abîme infinie d’autres images énigmatiques, troublantes et silencieuses. 


Florence Andoka